Revue de presse

"Que contient la proposition de loi contre la « discrimination capillaire » ?" (liberation.fr , 21 sept. 23)

24 septembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Pour certaines voix critiques, cette proposition de loi portée par un député Liot, qui vise à lutter contre la discrimination des personnes noires en milieu professionnel, est redondante par rapport aux textes existants.

par Anaïs Condomines

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Déposée le 12 septembre à l’Assemblée nationale, une proposition de loi, initiée par le député Liot Olivier Serva et signée notamment par des membres de La France insoumise, a suscité plusieurs réactions moqueuses. « Les députés vont-ils proposer une allocation pour les chauves ? » a ainsi réagi le think tank libéral Iref à ce texte « visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire ».

Cette proposition de loi porte pourtant sur un sujet bien loin d’être anecdotique, puisqu’elle se concentre surtout sur la discrimination raciale liée à la texture et au style capillaire des personnes noires, en milieu professionnel. Un problème à propos duquel Libé écrivait en avril « qu’il peinait encore à s’imposer médiatiquement et politiquement ». Dans l’exposé des motifs, le député de la première circonscription de Guadeloupe cite ainsi en exemple une étude menée aux Etats-Unis (où les statistiques ethniques sont possibles), prouvant que « deux tiers des femmes afro‑descendantes changent de coiffure avant un entretien d’embauche » et que « leurs cheveux sont 2,5 fois plus susceptibles d’être perçus comme non professionnels ».

En conséquence, le texte, renvoyé en commission des lois, propose de modifier le code général de la fonction publique, le Code pénal et le Code du Travail, afin d’ajouter une précision portant spécifiquement sur la discrimination capillaire. Ainsi, après la phrase « Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite en raison de l’apparence physique », il souhaite ajouter la mention suivante : « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux ».

« L’éléphant dans la pièce »

Mais d’autres critiques, portées cette fois par des observateurs avertis, jugent une telle proposition de loi « farfelue », voire « inutile », notamment car l’arsenal législatif serait déjà en place pour lutter contre de telles discriminations. En effet, à la mention de la discrimination en raison de l’apparence physique, déjà présente, donc, dans les textes de loi, s’ajoute une jurisprudence toute récente. En novembre 2022, la Cour de cassation a rendu un arrêt donnant raison à un steward d’Air France, sanctionné puis licencié. A l’origine du contentieux, qui a débuté en 2005 : sa coiffure de tresses nouées en chignon.

« Sauf que cet arrêt est fondé sur une discrimination physique liée au sexe, les femmes étant autorisées, chez Air France, à porter leurs tresses africaines en chignon… mais pas les hommes » rappelle à CheckNews Marie Mercat-Bruns, maîtresse de conférences en droit privé, spécialisée dans le droit des non-discriminations. Dans les conclusions de l’arrêt, on peut en effet lire que les agissements d’Air France relèvent d’une « discrimination fondée sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes ».

« On voit bien qu’il y a un problème », poursuit la juriste. « A l’origine de la procédure, à laquelle j’avais eu accès, la revendication de la discrimination raciale était présente. Et puis au fur et à mesure, elle s’est estompée : elle demeure pourtant l’éléphant dans la pièce. » Sollicité par CheckNews, le député Olivier Serva n’a pas donné suite. Mais dans son exposé des motifs, il estime lui aussi que le raisonnement de la Cour de cassation, en l’occurrence lié au sexe, « s’avère impossible dans bien des cas ».

Une portée symbolique

Marie Mercat-Bruns poursuit : « Je comprends la critique qui consiste à dire que la loi contient déjà beaucoup de critères de non-discrimination. Et c’est vrai, il y en a déjà 26 rien que pour le droit du travail. En ajouter un, est-ce la meilleure manière de faire appliquer le droit ? Pas sûr. Peut-être vaudrait-il mieux mettre des moyens sur la lutte contre les discriminations et la formation des juges et des inspecteurs du travail. Mais en tout état de cause, je crois que ce nouveau critère sur la discrimination capillaire permettrait de toucher spécifiquement ces populations qui font face aux règles dites de neutralité, en réalité non inclusives, de leur entreprise. Et ce alors que la discrimination raciale reste difficile à prouver en France. J’ajoute aussi qu’il me paraît difficile de mettre sous la même bannière de discrimination physique un homme discriminé parce qu’il choisit de porter deux boucles d’oreilles, par exemple, et une personne noire qui, biologiquement, a les cheveux crépus. »

Pour Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice féministe et antiraciste, consultée par le député dans le cadre de l’élaboration de cette proposition de loi, ce nouveau critère a surtout une portée symbolique : « Le fait que le steward a gagné sur la reconnaissance d’une discrimination liée au genre montre bien que la question raciale a ici été complètement invisibilisée. En l’occurrence il avait été sanctionné non pas sur une problématique relative au genre, mais bien parce que le type de coiffure induit par les cheveux crépus est considéré comme pas propre, pas professionnel. Et la loi a aussi une dimension symbolique : il s’agit de rendre visible un type de discrimination qui n’est pas considéré. »"


Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Discriminations, Travail (note de la rédaction CLR).


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