Comité Laïcité République Toulouse Midi Pyrénées

Conférence inaugurale du Comité Laïcité République Toulouse Midi Pyrénées (CLR TMP, Toulouse, 26 oct. 16)

3 novembre 2016

Ce mercredi 26 octobre, le CLR TMP a présenté une conférence inaugurale dans l’auditorium de l’Espace Diversité Laïcité de Toulouse devant un public nombreux et très attentif. On est venu du Gers, du Tarn-et-Garonne, de l’Ariège... et même de Carcassonne. Le bureau du CLR TMP était représenté par le président Alain Brunet, le secrétaire Bruce Alary, le trésorier Thierry Lacazette, le vice-président Claude Savasta, la secrétaire-adjointe Sylvie Izdag.

Monsieur Daniel Rougé, adjoint au maire en charge des questions liées à la laïcité, qui honorait les organisateurs de sa présence, a prononcé quelques propos liminaires de bienvenue en montrant son attachement au principe de laïcité.

C’est ensuite Bruce Alary qui présentait l’association et ses projets d’action. Le CLR défend une laïcité non adjectivée et non accommodée, annonçait-il, une laïcité vue comme un principe constitutionnel qui permet la mise en acte des valeurs qui fondent la devise de la République : « Liberté-Egalité-Fraternité »

Ce principe et ces valeurs sont les bases de notre République. Ils constituent un idéal de société, fondé sur la concorde civile, et représentent un enjeu majeur pour la construction de la société future. Mais la laïcité n’a jamais été autant mise en danger : menacée de l’intérieur, par ceux qui veulent réintégrer les religions dans l’espace public, par ceux qui veulent l’adjectiver et l’assouplir cédant ainsi à certaines revendications communautaires, inquiétée de l’extérieur par l’isolement de la France au sein de l’Europe où les États sont davantage sécularisés que laïcisés. Mais le plus grand danger reste l’ignorance laïque. Plus que jamais, l’École porte le projet républicain ; elle n’est pas seule, la société doit se mobiliser pour provoquer un « sursaut laïque ».

Bruce Alary énonce ensuite les premiers objectifs que se donne le CLR TMP : la mise en œuvre des temps de débat pour les adhérents afin d’assurer une confrontation sur des sujets autour de questions qui interrogent la Laïcité et la mise en place des commissions opérationnelles : une commission communication qui aura pour objectif de produire des textes sur des sujets autour de la laïcité à l’attention des medias, une commission Laïcité/opérationnalité et prospective qui construira de l’outillage pour la diffusion du principe de laïcité auprès des jeunes, des structures, des enseignants, de la réserve citoyenne…, une commission relations extérieures qui aura pour objectif de prendre contact auprès des institutions et de développer des potentiels partenariats…

Pour terminer son propos, il remercie chaleureusement le président fondateur Alain Brunet pour l’importance de son action dans la création de l’association et il présente le conférencier Georges Bringuier, lui aussi membre-fondateur, auteur entre autres d’ouvrages sur la laïcité (Lucy, Eve et Marianne et La laïcité dans tous ses états).


Georges Bringuier rend tout d’abord hommage à Jean-Jacques Rouch, auteur, journaliste à La Dépêche du Midi, élu toulousain, disparu il y a quelques mois et dont l’auditorium portera son nom. Les initiateurs de ce projet sont remerciés pour cette belle initiative.

Il est rappelé que l’affaire du chevalier de La Barre a été rendue célèbre en son temps par l’intervention de Voltaire tout comme ce fut le cas pour les affaires Sirven, Calas, Lally. Mais si la première a vu un heureux dénouement, les trois autres affaires se sont conclues de manière désastreuse, Voltaire intervenant post-mortem, en obtenant tout de même la réhabilitation des condamnés.

Le conférencier surprend alors son auditoire en demandant qui connaît Jean Cruppi. Devant le mutisme de l’assistance, il sort le personnage de l’oubli. Une rue porte le nom de ce Toulousain de la troisième République : juriste, président de conseil général, député pendant 21 ans et sénateur. Jean Cruppi est aussi un homme d’État qui fut 4 fois ministre à partir de 1907 : de l’Instruction publique, du Commerce et de l’économie, des Affaires étrangères et de la Justice. Il a proposé et défendu de nombreux textes de loi et a pris une part active à la discussion précédant le vote de la loi 1905 en proposant un amendement concernant l’attribution des biens. Par ailleurs il est l’auteur, dans le cadre d’une commission chargé de la rénovation de la justice, d’un texte d’abolition de la peine de mort en 1908, ... Mais ce ne sont pas les raisons qui rendent intéressant Jean Cruppi dans le cadre de cette conférence. En 1886, Jean Cruppi a publié un article et un livre portant sur la justice et retraçant la vie du « premier avocat-journaliste » en la personne de Nicolas Linguet. Si Cruppi a disparu de la mémoire des hommes, Linguet également ; pourtant, en plein XVIIIe siècle Linguet fut très célèbre : la foule se pressait à ses plaidoiries, il était porté en triomphe et on s’arrachait son effigie. Mais Linguet fut surtout celui qui, s’il ne réussit pas à sauver le chevalier de La Barre, parvint à éviter le pire aux trois derniers accusés. Le lien est ainsi fait entre Toulouse, la laïcité et le chevalier de La Barre.

Georges Bringuier expose ensuite les faits en commençant par la découverte en ce jour d’août 1765 de la profanation d’un crucifix à Abbeville. Il s’attache à montrer comment cette affaire fut pilotée depuis Paris par le procureur du roi Joly de Fleury, l’un des plus ardents représentants des anti-Lumières.

En effet si le XVIIIe est considéré comme le siècle de Lumières on oublie que ce sont surtout les anti-lumières qui exerçaient le pouvoir. Les ouvrages des encyclopédistes et des philosophes étaient frappés d’interdits.

À Abbeville, dans la Somme, l’affaire de La Barre se joue dans un contexte de luttes politiques entre le camp des conservateurs mené par Duval de Soicourt, maire d’Abbeville, lieutenant de police et juge et le camp des libéraux mené par Douville de Maillefeu ancien maire, conquis aux idées des Lumières. Ce dernier conteste le monopole de la fabrication des draps que détient la riche famille des Van Robais, qui, selon une étude publiée par Linguet, a appauvri la ville. Soicourt, meilleur ami des Van Robais défend leur privilège. Les inimités entre les différents acteurs sont sous-jacentes : Soicourt cherche à se venger de l’abbesse de Villancourt cousine et protectrice du chevalier pour une affaire de curatelle ; Belleval, l’amoureux transis de l’abbesse, veut lui aussi se venger du chevalier son ennemi juré et qui pour cela se répand en ville en colportant des rumeurs et en incitant à des faux-témoignages ...

Des jeunes officiers, parmi lesquels les futurs accusés, préparant leur carrière militaires, se retrouvent à la librairie Devérité, lieu où circulent les livres interdits, et que fréquentent l’ancien maire Douville de Maillefeu et le fameux Linguet ... on y tient de brillantes conversations sur les encyclopédistes et les écrits voltairiens. Il s’agit en somme d’un cercle de libertins, le mot étant pris au sens de l’époque, c’est-à-dire, qui désigne ceux qui soumettent la religion et la philosophie à la critique et à la raison, qui mettent en doute les vérités révélées.

Jean-François Lefebvre de La Barre est issu d’une grande famille qui fut jadis illustre, mais qui est totalement ruiné. Orphelin, il est accueilli à Abbeville, par sa cousine Anne-Marguerite Feydeau abbesse de Villancourt. On dit de cette « abbesse mondaine » qu’elle a apporté à Abbeville un peu de Versailles ; elle tient salon et invite à sa table les notables de la ville en particulier Belleval ; mais quand arrive le jeune et fringuant chevalier, Belleval et ses confrères sont de moins en moins invités. L’abbesse préfère la compagnie juvénile ; ainsi les idées neuves qui diffusent à la librairie Devérité pénètrent le salon de Villancourt. Belleval qui rumine sa vengeance contre le chevalier qu’il tient pour responsable de ses déconvenues amoureuses, va bientôt pouvoir assouvir sa rancœur.

Suite à la profanation du crucifix du pont-neuf, à la demande de Soicourt, le vieil évêque d’Amiens conduit une cérémonie d’amende honorable ; ce dernier demande les « derniers supplices en ce monde et des peines éternelles en l’autre ». Mais plus que l’obtention de la clémence du ciel, cette cérémonie a pour effet de manipuler l’opinion qui va réclamer des coupables et des condamnations exemplaires. La machinerie est lancée, mais n’ayant pas l’ombre d’un coupable, Soicort va obtenir de l’évêque les monitoires, c’est-à-dire des ordres donnés à la population de révéler les histoires de blasphème et d’impiétés. C’est ainsi qu’on apprend que trois jeunes gens se seraient ventés de ne s’être pas décoiffés et agenouillés au passage d’une procession. Ils font partir de la bonne société d’Abbeville, ce sont à coup sûr les coupables de la profanation du christ. Dès lors les deux affaires, celle de la profanation qui est un crime de lèse-majesté divine et celle des impiétés et blasphèmes punis par des peines légères sont confondues. Le principal accusé Gaillard d’Etallonde prend la fuite, mais le chevalier de La Barre est pris ainsi que le petit Moisnel, pupille de Belleval. Bien qu’aucune charge relative à la profanation ne soit retenue contre lui, de La Barre est accusé d’avoir prononcé quelques impiétés, d’avoir chanté des chansons grivoises, mais également de détenir des livres interdits en particulier le Dictionnaire Philosophique de Voltaire. Les interrogatoires révèlent que deux autres jeunes, les fils de Belleval et de Douville de Maillefeu, ont chanté ces mêmes chansons. Dès lors Belleval va changer de camp et faire cause commune avec Douvelle de Maillefeu, mais il ne pourra plus arrêter la machine judiciaire qu’il a lui-même ourdie. Les deux jeunes gens sont mis à l’abri loin d’Abbeville. Gaillard d’Etallonde convaincu de la profanation est lourdement condamné : il doit avoir la langue et le poignet tranchés et être brûlé vif. Mais Gaillard est très loin et il ne risque pas grand-chose ; contumax, il sera exécuté en effigie. En revanche le chevalier qui est considéré comme un étranger à Abbeville sera condamné à avoir la langue tranchée, à être décapité et son corps brûlé avec le Dictionnaire Philosophique de Voltaire. Ainsi l’affaire d’Abbeville n’est pas un vaudeville local mais une affaire d’État. Le procès en appel, malgré les interventions de l’abbesse qui en appelle à ses parents au plus haut sommet de l’État, confirme la sentence d’Abbeville. On sursoit pour les trois autres accusés en attendant les révélations que pourrait faire le chevalier qui doit être soumis à la question ordinaire et à la question extraordinaire, c’est-à-dire à la torture.

L’évêque d’Amiens, celui qui avait demandé les pires châtiments pour les coupables, intente un ultime recours auprès de Louis XV ; mais celui-ci refuse la grâce.

Le jeune chevalier de 19 mas va montrer un courage exceptionnel : il ne donnera aucun nom, il va disculper le jeune Moisnel toujours en cellule et va monter à l’échafaud tel on monte à l’assaut. Il se montrer digne, courageux et maître des évènements.

Linguet finit par obtenir le dessaisissement de Soicourt : Moisnel reçoit une simple admonestation, les deux autres accusés sont disculpés.

Deux ans après l’exécution du chevalier, Voltaire publie la Relation de la mort du chevalier de La Barre, dans laquelle il dénonce l’injustice puis il va aider d’Etallonde (devenu aide de camp de Frédéric de Prusse) a obtenir sa réhabilitation. Celle-ci lui sera refusée par Louis XV et il devra attendre l’avènement de Louis XVI pour enfin l’obtenir et pouvoir rentrer en France.

La Barre, qui sera réhabilité par la convention en 1793, va devenir un symbole de la liberté de conscience et de la laïcité. Trois monuments seront érigés à sa mémoire, à Montmartre, à Abbeville et à Gruissan par des groupes laïques et des associations de libres penseurs, qui ont ainsi permis de perpétuer la mémoire du chevalier.

Victime d’enjeux économique et politiques locaux, victime d’un véritable règlement de compte, le chevalier de La Barre est aussi la victime de l’intolérance, de l’obscurantisme et des derniers soubresauts d’un pouvoir qui résulte de la collusion entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux.

La Barre est un jeune homme de son temps. Il n’a rien écrit, rien laissé sur l’autel des idées, mais il est acquis aux nouvelles idées, celles du siècle des lumières. Il use de son libre arbitre pour soumettre les dogmes à la raison ... en cela il est dangereux car il mine le pouvoir établi.

L’affaire de La Barre pose les questions de la liberté de conscience, du délit de blasphème et de la nécessaire séparation des pouvoirs temporel et spirituel, bref de la laïcité.

Les lueurs qui proviennent du siècle des lumières peu à peu s’éteignent ; un sursaut laïque est indispensable, pour raviver ces lumières, pour ne plus voir la statue de Montmartre à nouveau fondue, le monument d’Abbeville profané, le buste de Gruissan dérobé.


Les questions posées par l’assistance sont nombreuses et révèlent une certaine inquiétude vis-à-vis de la préservation de la laïcité - inquiétude relativisée par des témoignes rassurants sur l’appréhension de ce principe par les jeunes générations - tout en manifestant sa volonté d’agir. Les interventions et les questions mettent en évidence les similitudes entre cette affaire d’un autre temps et le monde contemporain. Georges Bringuier explique en quoi la laïcité est en péril, mais aussi en quoi il y a lieu de se nourrir d’un optimisme mesuré, à condition que chacune et chacun agisse, à sa manière et à sa place. Il insiste sur l’importance de l’école, creuset de la République, qui transmet le principe de laïcité et les valeurs de la République, se faisant aider en cela par ce précieux dispositif qu’est la Réserve citoyenne, dispositif auquel toutes les bonnes volontés peuvent apporter leur contribution.


Bruce Alary, par quelques mots de conclusion clos la séance en invitant celles et ceux qui veulent apporter leur contribution à la promotion de la laïcité et des valeurs de la République à rejoindre l’association.



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